[This is the reposting of a comment first appeared on Vincent Guatrais’s blog, as part of a cross-posting collaboration with Medialaws. Vincent Guatrais is Professor of Information Technology Law (Droit de la sécurité et des affaires électroniques) at the Law School of the University of Montréal.]
Ce mercredi 23 novembre 2011 débutait l’examen parlementaire du Projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée.La vocation initiale du projet était d’établir de façon claire les règles de perception de la rémunération pour copie privée sur supports numériques, en définissant les paramètres à prendre en considération relativement à l’assiette de la redevance devant être perçue par les ayants droit.
Un amendement adopté par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale déplace la question en venant circonscrire le périmètre de la notion de copie privée par l’introduction dans sa définition même la notion de « licéité de la source ».
A titre liminaire, il convient d’énoncer brièvement le principe de l’exception de copie privée. Il s’agit d’une exception au monopole conféré à un auteur sur une œuvre protégée par le droit d’auteur, permettant sa reproduction à usage privé, sans l’autorisation préalable de l’ayant-droit de cette œuvre. Prévue à l’article L.122-5 du Code de Propriété Intellectuelle, elle se définit comme suit : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Concernant la question de la rémunération, l’article 1er du projet de loi, modifiant l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, précise que « seules les copies réalisées à partir d’une source licite ouvrent droit à rémunération au profit des titulaires de droits ». Il convient de préciser qu’il existe une taxe sur les supports vierges, destinée à compenser, pour les ayants droit, l’exception de copie privée, permettant aux consommateurs, comme on l’a vu, de reproduire des œuvres pour leur usage personnel. Cette disposition, est annoncée comme étant en quelque sorte une « transcription législative » de la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui dans un arrêt en date du 11 juillet 2008 avait exclu les copies illicites du champ de cette rémunération en énonçant que seule « la perte de revenus engendrée par l’usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d’œuvres » devait être pris en considération.
Le législateur va en fait bien plus loin. Alors que le Conseil d’Etat visait uniquement l’usage illicite des copies d’œuvres, le projet de loi, de par sa formulation, assimile « source illicite » et copie illicite, l’une engendrant l’autre.
Pour ce qui est de l’acte de copie privée en lui-même, le projet de loi, par la modification de l’article 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, opère une séparation de la copie privée des sources illicites. À la suite à cet ajout, cet article se présenterait donc comme suit : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire (…) les copies ou reproductions strictement réalisées à partir d’une source licite et réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». (Ajout en caractères gras). Les arguments avancés dans le « Rapport Cedras », justifiant l’introduction de ce concept apparaissent imparables sur ce point :
« Il serait peu compréhensible qu’une copie privée soit licite si elle a pour origine directe une copie illicite, l’illégalité de la source corrompant toutes les utilisations ultérieures. Un acte illégal ne peut être la source d’un acte légal et la copie privée ne peut « blanchir » la contrefaçon ».
Les députés, en posant le principe selon lequel une copie privée ne peut être licite si elle prend directement sa source d’une copie illicite, viennent trancher un débat que la jurisprudence avait jusqu’ici tenter d’éluder. L’affaire Aurélien D. met particulièrement en lumière cette jurisprudence « en queue de poisson », dixit Lionel Thoumyre, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en renvoi, ayant jugé que les copies de près de 500 films n’étaient pas à usage privée, en se fondant sur leur mise à disposition à des amis, sans prendre en considération la licéité de leur source, comme préconisé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mai 2006 : « l’exception de copie privée (…) suppose, pour pouvoir être retenue, que soit établi le caractère licite de sa source, laquelle doit nécessairement être exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droit sur l’œuvre concernée. »
Conformément à ce que prévoit le projet de loi, afin que l’exception de copie privée puisse valoir, l’analyse dépasse donc le simple « test » de l’usage privé, pour y inclure la notion de « licéité de la source » même de cette copie.
Une clarification juridique de taille, mais dont l’application pratique risque de se heurter à la portée plus vaste que cette nouvelle notion vient conférer à l’exception.
En effet, la charge de la preuve du caractère illicite de la source d’une copie s’avère particulièrement ardue, et ce autant pour les internautes que pour les ayants droit.
Il était relativement aisé pour un utilisateur de prendre la mesure d’une contrefaçon relativement à son comportement, quant à l’usage qu’il fait d’une copie. Il s’agissait en quelque sorte d’obligation de diligence raisonnable, à posteriori.
Les modifications apportées par le projet de loi imposent un fardeau bien plus lourd, à savoir une analyse juridique à priori du caractère licite d’une œuvre. Mais comment, dès lors, prendre la mesure de la licéité d’une source, lorsque l’on connait le flou entourant la chaîne de possession et de reproduction des œuvres sur internet… De la même façon, il parait impossible pour les ayants droit dans le cadre d’une plainte, d’apporter la preuve de l’illicéité d’une source, afin de contrer l’application de l’exception pour copie privée…
Une préoccupation partagée par la Quadrature du Net, pour qui les questions suivantes « n’auront jamais de réponse en pratique, et rendront par défaut la copie illicite » : « La source utilisée pour réaliser l’acte de copie privée était-elle licite ? S’il s’agit d’une diffusion sur Internet, qui l’a mise en ligne ? Cette personne avait-elle une autorisation de l’auteur ? ».
Va-t-on assister, comme l’affirme la Quadrature du net, à « l’arrêt de mort de l’exception pour copie privée » ?